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  • Photo du rédacteurPierre Marescaux

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Mis à part ce petit problème de goutte qui pouvait semer le doute quant à sa légendaire sobriété, Machin semblait être en total accord avec son mode de vie. Dans sa cabane de pierre, tout était à l’économie. Seule la bibliothèque, qui occupait à elle seule deux des quatre pans de murs, donnait une impression de profusion. Elle couvrait l’intégralité des deux surfaces, uniformément, les livres formant une architecture complexe avalant toute portion de vide.

« Un isolant supplémentaire », souriait Machin quand on lui parlait de ces ouvrages.

Pour le reste, une table sommaire, quatre rondins de bois polis, une natte, un foyer constituaient le seul mobilier. Malgré tout, on ne pouvait pas dire que l’intérieur manquait de chaleur, Machin ayant posé au sol de jolis tapis artisanaux de sa confection. La cabane baignait dans une lumière de printemps tout à fait engageante.

Pour autant qu’il pouvait en juger, Monsieur le Président avait eu raison d’accompagner Miranda et Gloria dans leur balade matinale : la petite marche à travers le bois du domaine jusqu'à la cabane était très agréable et la rencontre de ce nouveau personnage lui ferait une distraction.

Machin n’était ni grand ni petit, ni gros ni maigre. Agile et hirsute, l’œil pétillant et l’haleine approximative, il avait tout du teckel à poil à longs. Soigné malgré les taches sur sa liquette, élégant malgré les griffes qui dépassaient de ses claquettes, il dégageait un charisme chamanique prompt à faire succomber n’importe quel clampin sevré trop tard de la messe du dimanche.

Le Président regardait Machin avait amusement. Il n’avait pas vu ce genre de spécimen depuis ses années berlinoises, où un fils de diplomate de retour d’Auroville avait ramené dans ses bagages Sri Krishna Humpapa, un yogi partouzeur fort sympathique. En saluant Machin, le Président repensa à deux soirées fameuses et dénudées qui auraient pu, à l’époque, le faire vaciller.

« Je vous vois souriant, Monsieur, et je m’en réjouis. Miranda et Gloria s’occupent bien de vous ?

- Disons que ça va mieux. Enchanté. Vous êtes ?

- Je suis Machin. C’est comme cela que tout le monde m’appelle. Ca me convient bien.

- Bonjour Machin. »

Le Président lui tendit une main franche, dont Machin se saisit pour l’amener à lui et lui donner l’accolade. L’élu sentit la forte chaleur émanant du corps de Machin, ainsi qu’une indescriptible odeur de lichens, de chlorophylle, de sous-bois au lever du soleil et, il ne saurait dire pourquoi, de racines profondes.

« Oui, vous avez raison, je suis végétal, murmura Machin au creux de l’oreille du Président.

- Vous faites le coup de la télépathie en préambule de toutes vos rencontres ?

- En préambule, en développement, en conclusion. Mais je suis d’accord avec vous, cette proximité a trop duré et il fait trop beau pour rester à l’intérieur. Prenez place sur le rondin devant la cabane, au soleil. Je vous rejoins de suite. »

Le Président s’installa docilement sur une petite terrasse tandis que Machin préparait une boisson chaude. Miranda et Gloria prirent congé et le Président se demanda d’où elles le surveilleraient.

« Vous n’allez pas vous enfuir, de toute façon, assura Machin en tendant une tasse au Président. Vous savez que vous êtes moins perdu en restant ici qu’en tentant de partir.

- Perdu, pas tant que ça. Faut pas non plus me prendre complètement pour un débile. Je sais très bien où nous sommes et comment rentrer à Paris.

- Alors pourquoi n’avez-vous pas tenté de vous faire la malle ?

- Miranda a su se montrer très persuasive et ni l'une ni l'autre ne laisse jamais traîner son téléphone.

- C’est tout ? Pas le moindre bienfait à rester ici, volontairement ?

- Pour ce qui est de la volonté, c’est une drôle de façon de poser la question. Je vous l’apprends peut-être, mais j’ai passé une bonne partie des dernières journées avec un canon de fusil planté dans les fesses.

- Miranda vous empêchait-elle de vous lever afin de le retirer ? s’enquit Machin.

- Eh bien, disons que sa présence proche et le discours qu’elles tenaient m’ont fait penser que oui.

- Lui avez-vous posé la question ?

- Je pose rarement des questions cons, contrairement à vous, cher Machin.

- Et pourtant : vous lui auriez demandé, posément, peut-être vous aurait-elle dit que vous vous êtes imposé une bonne partie de la contrainte. »

Le Président sourit. Ce clébard végétal et tranquille qui le questionnait n’avait vraisemblablement pas pris les tartes que Miranda pouvait coller.

« Vous avez raison, Miranda est un peu trop vive. Elle cogne facilement et elle y voit un chemin possible. Certainement parce qu’elle a senti que c’était une partie du trajet que vous vous êtes choisi.

- Que je me suis choisi ? Fils de pute !

- Vous croyez très sérieux de partir de votre appartement sans personne ? Vous pensez très avisé de faire confiance au seul Petit Lapin ?

- Oui.

- Et vous avez raison. Raison de faire confiance à Petit Lapin pour vous amener sur le chemin que vous aviez décidé de prendre, sans l’avoir pris pour autant.

- Qu’est-ce que c’est que ces conneries, encore, Machin ? Faut m’épargner avec vos kharmas, vos destins-mes-couilles, tout ça me rend un peu nerveux.

- Je sens vos racines dans les miennes. Moi non plus, je ne suis jamais allé à Auroville. »

Le bluff télépathique de Machin commençait à courir sur le haricot du Président. Celui-ci allait exploser quand Machin reprit :

« Avant de dire quoi que ce soit, s’il vous plait, buvez cette tasse et observez ce que vous avez autour de vous. Ne parlons plus pendant quelques minutes, voulez-vous ? »

Le Président accepta sans mot dire, avec dans le regard le mélange de colère, de surprise, de confort et de stupéfaction qu’il ressentait au plus profond. A quelques pas des deux hommes, un chat jouait avec un mulot encore vivant mais aux vertèbres brisées. La boisson était bonne, quoiqu’un peu amère au goût du Président. En avalant la dernière gorgée, le bruit de déglutition lui parut assourdissant. Il plissa les yeux et tenta de se détendre. De nouveau calme, il voyait la forêt s’étendre tout autour de lui, prendre une place essentielle, primaire. En une semaine, les arbres s’étaient épanouis, leurs feuilles s’étaient étendues pour couvrir tout le regard.

Ce qui étonna le plus le Président, c’est que ce paysage lui était non seulement agréable, mais également familier. Machin se tourna vers lui, dans un large sourire :

« On dirait que les choses s’inversent, non ? On ne voit plus les immeubles haussmanniens de la même manière…

- C’est vert. Il y a la nature partout. Ca ressemble au paysage de mon enfance. Mais ce n’est pas un souvenir, il n’y a ni nostalgie, ni douleur dans mon regard. Ca ressemble à ça mais c’est ce que je vois. Je ne m’y projette pas comme dans une balade rétrospective, mélancolique. J’y suis tout à fait.

- Que pensez-vous de ce que vous dîtes, Monsieur le Président ?

- Que c’est moi qui parle et que ce n’est pas moi qui parle. J’ai furieusement envie de baiser.

- Ca fait toujours ça la première fois. Je vous conseille de vous toucher, gentiment, et de beaucoup vous promener. Vous allez voir, tout sera plus simple maintenant, et Miranda ne vous frappera plus. »

Le Président laissa couler quelques larmes de joie sur son visage. Machin et lui restèrent là un long moment. Le chat avait laissé le mulot pour mort et dormait désormais sur une pierre chauffée par le soleil.

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