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  • Photo du rédacteur: Pierre Marescaux
    Pierre Marescaux
  • 25 avr. 2020
  • 5 min de lecture

« Obligez-moi à voter cette loi et je vous jure que demain, vous aurez toute la France dans la rue.

- Et moi je vous dis, Monsieur le Président du Sénat, que vous allez la voter.

- Oh ! Monsieur le Patron de la République, je crois que vous ne m’avez pas compris. Ce n’est pas un conseil que je vous donne : c’est une promesse que je vous fait. »

Le Patron eût une réaction étrange : il commença à retirer sa veste, à desserrer sa cravate, tandis que la lumière de son bureau se tamisait. De son côté, Tête-de-cul remarqua dans un coin du bureau un lit king size qu'il n'avait jamais vu. Il n’avait pas non plus noté quand leurs conseillers étaient partis, et qu’il ne restait plus que deux valets de chambre en marcel et culotte bouffante avec eux dans la pièce.

« Mettez-vous à l’aise, Monsieur le Président. Tenez, déshabillez-vous et étendez-vous sur cette table de massage. »

Puis, désignant les deux valets tout en retirant sa chemise, il ajouta : « Gilles et John vont s’occuper de vous. Détendez-vous. Moi aussi, ils m’ont pris en main. »

Tête-de-cul se réveilla dans un fou rire. Il n’avait pas souvenir d’une telle joie en sortant du sommeil. Il dormait merveilleusement en ce moment. L’air était doux. Nous avions eu un avril magnifique. Les nuits commençaient tôt, vers 22h, et le réveil se faisait avec le soleil. A 6h, ça s’agitait dans la maison. Tête-de-cul voyait cela de sa petite lucarne, dans la grange. Il ouvrait la porte de sa chambre qui ouvrait sur le reste du bâtiment, aux soubassements de pierre et aux murs de bois. Drôle d’ouvrage que celui-ci, où sa chambrette formait une petite boîte dans la boîte, comme une poupée russe apprêtée cachée dans une autre à l’allure plus rustique. Mais Tête-de-cul se plaisait dans ces deux espaces, celui cocooné de ses nuits, et celui de bois et de foins de ses jours.

Depuis une bonne semaine maintenant, il aidait Miranda avec les chevaux. Ils étaient trois à la ferme, trois braves et vieilles bêtes comme Tête-de-cul les aimait. Il avait pour elles une grande passion, héritée de sa jeunesse. Miranda lui avait proposé de l’accompagner pour les besoins quotidiens qu’elles sollicitaient. Il s’était notamment pris d’affection pour Marsouin, paisible cheval d’Auvergne qui l’avait adopté en retour.

Ce matin-là, donc, après ce réveil heureux, Tête-de-cul enfila ses claquettes et se rendit à la cuisine. Miranda et Gloria déjeunaient déjà.

« Le Petit dort bien ? demanda Tête-de-cul.

- Ca a l’air, répondit Gloria. Hier soir, il s’est étonné de ne pas te voir au moment d’aller au lit. Il voulait son histoire. Il s’est réveillé à 4h33, comme toutes les nuits, mais il s’est rendormi aussitôt, cette fois.

- Tant mieux. Etrange, tout de même, ce réveil à heure fixe. Et puis à quoi rêve-t-il ? Bizarre qu’il ne vous raconte pas.

- Il dit qu’il ne se souvient plus, expliqua Miranda.

- Je croyais que les gamins gardaient mieux leurs rêves en tête, et qu’ils savaient plus facilement se confier.

- Je sais pas. Je me dis que ses parents lui manquent. Ca fait un bout de temps qu’il a pas vu sa mère et son père a mis un temps fou à sortir de l’hosto, glissa Gloria. Il ne l’a toujours pas revu, lui.

- D’ici quelques jours, ce serait pas mal qu’ils viennent ici tous les deux, pour de bon.

- T’es marrant… elle bosse. Je te rappelle qu’il y a encore pas mal de malades en réa. Elle est pas là d’avoir des vacances.

- Des vacances, peut-être pas, mais au moins deux-trois jours de repos. Après, il sera temps de faire en sorte qu’ils puissent se réunir ici pour un temps plus long.

- Ah ouais ? Et tu comptes faire comment pour réaliser ce miracle en étant coincé ici ?

- Oh ! mais je ne suis pas coincé. Et puis cette vacance du pouvoir, c’est peut-être le bon moment pour l’incarner.

- Ca veut dire quoi ? Tu acceptes le message qu’on avait prévu d’envoyer, alors ?

- Non, pas vraiment. On va faire les choses autrement. Je vais prendre la route. Machin a une folle envie de se dégourdir les jambes et de retrouver le monde. Moi, je me sens en pleine forme et j’ai envie de marcher. On va faire une rando entre copains.

- Je te rappelle qu’on est en confinement, intervint Miranda.

- Je te rappelle que je suis le Président du Sénat.

- Tu veux partir quand ?

- Dès que possible. Aujourd’hui, demain. »

Gloria leva les yeux sur Tête-de-cul. Sa barbe avait bien poussé. Blanche et raide, elle structurait différemment son visage, offrant une place plus importante à sa bouche généreuse. Elle laissait aussi davantage de place à ses yeux, jadis presque clos et dont on pouvait aujourd’hui percevoir l’éclat enfantin. Notre homme était en forme, et ça se voyait. Il marchait quotidiennement, mangeait sainement, dormait paisiblement. En congé de toutes ses obligations professionnelles, étatiques, familiales, il avait pu passer son temps autrement, sans rien devoir à personne. Depuis quinze jours, il se sentait affranchi du rythme habituel de ses journées.

Mais depuis hier, sa famille lui manquait - pas tant pour les échanges, quasi inexistants, qu’il pouvait entretenir avec eux avant : plutôt pour l'absence actuelle de leur peau. Aussi, il sentit que c’était moment de revenir.

Il avait décidé de ne pas anticiper les réactions autour de lui, quand il réapparaitrait. Il avait décidé de les accepter, quelles qu’elles soient.

Tête-de-cul vida son bol de chicorée, alla le poser dans l’évier.

« Surtout, le lave pas », hein, grommela Miranda.

Il lui sourit en retour.

« Je repasserai faire la vaisselle avant de partir. Je vais chercher Machin.

- Tu comptes aller où et avec quelles chaussures ? lui demanda Gloria.

- Je fais la même pointure que Miranda. Elle pourra bien me prêter une paire de baskets. Pour les fringues, j’ai ce qu’il faut sur le dos. Et pour la destination… eh bien… on va prendre le chemin des écoliers, aller de bois en bois quand il y en a un, et atterrir à Paris d’ici trois ou quatre jours si on ne croise aucun gendarme pour donner l’alerte. »

Une heure plus tard, il était de retour à la ferme, suivi de Machin. Miranda était partie soigner un bosquet malade, à l’entrée de la propriété. Le Petit prenait son petit-déjeuner. La vaisselle avait été faite.

« Vous êtes vraiment connes, j’avais dit que je m’en occupais, Gloria.

- Tu sais bien qu’elle n’aime pas quand ça traine. Et surveille ton langage.»

Machin pénétra dans la pièce. Il arborait un magnifique couvre-chef de paille tressée par ses soins.

« Magnifique, Machin. Prêt à sortir de ta cabane, alors.

- Oui, je crois. Ca fait combien d’années que j'y suis ?

- Sept ans, répondit Gloria.

- L’âge de raison. Je me demande donc pourquoi je pars. Mais j’ai envie.

- Tu t’en vas ? Mais qui c’est qui va s’occuper de Terminator ? s’inquiéta le Petit.

- Oh ! Tu sais, Petit, les chats s’occupent très bien d’eux tout seuls.

- Peut-être c’est Tête-de-cul qui pourra lui donner à manger ou lui ouvrir s’il fait moche, tenta le Petit.

- Tête-de-cul vient avec moi, tu sais. C’est même lui qui m’a proposé de faire un grand tour. Mais t’en fait pas, Petit, lui et moi on va vite revenir. »

Sur le pas de la porte, les deux hommes avaient une drôle d’allure. Avec leurs petits sacs à dos, leurs chapeaux de pailles et leurs vêtements de lin, de jute, de laine, ils ressemblaient à des épouvantails.

« Vous trouverez Miranda dans le bois, à l’entrée est, si vous voulez lui dire au revoir », leur dit Gloria en les embrassant.

« C’est entendu, assura Tête-de-cul.

- Allez, en marche ! », s’exclama Machin.

Tête-de-cul éclata de rire et les deux hommes prirent la route qui menait au-dehors.

 
 
 

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