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  • Photo du rédacteurPierre Marescaux

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« Quand est-ce qu’on arrive ? »

Machin avait faim, et le temps passé dans l’estafette blindée de la gendarmerie lui paraissait interminable. L'absence de fenêtres à l'arrière du véhicule rendait l'intérêt touristique du voyage assez faible. Tête-de-cul et lui, accompagnés par huit gendarmes armés, goûtaient peu l’inconfort de la situation. A la rudesse des banquettes s’ajoutait la brusquerie de la conduite. Les drones avaient fait leur travail de fouines et déjà plusieurs voitures et motos de journalistes étaient à leur suite. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que le chauffeur ne savait pas encore où il devait se rendre et qu’il essayait de gagner du temps à défaut de les semer. En résultait ce parcours chaotique subi par nos deux prisonniers qui, au regard de tout cela, regimbaient finalement assez peu.

Au bout d’une vingtaine de minutes, la fourgonnette pénétra dans un parking souterrain, gardé à l’entrée par des militaires. Les véhicules qui suivaient le convoi attendirent au-dehors. Au bout d’un quart d’heure, la gendarmerie fit sortir un premier leurre. Dans le même temps, Tête-de-cul et Machin étaient extraits du premier véhicule pour entrer dans un autre, similaire. Quelques minutes après cette opération, les gendarmes renvoyèrent la première fourgonnette, encadrée par huit motards et deux autres voitures à l’avant et à l’arrière. Mais les deux hommes restaient coincés dans ce sous-sol lugubre.

« J’ai vraiment faim », finit par dire Machin en voyant un nouveau leurre partir, avec le même équipage, cinq minutes plus tard.

« Le prochain voyage sera le bon, monsieur. Vous pouvez avoir un verre d’eau en attendant, le rassura un gendarme présent avec eux à l’arrière du fourgon.

- Oh ! Bel Humain, vous parlez, s’exclama Machin, visiblement soulagé.

- Ils ne doivent pas avoir le droit de communiquer avec nous : le Patron ne doit pas savoir encore s’il veut me parler en tout premier lieu avant de me laisser avec les enquêteurs, raisonna le Président.

- J’ai faim et j’ai bien envie d’uriner, ajouta Machin.

- Si Monsieur pouvait se retenir. Je crois que tout ceci ne devrait plus prendre que quelques minutes, le rassura le gendarme.

- Désolé, jeune homme. On vous a suivi gentiment, moi et Tête-de-cul, mais on a encore le droit de faire ce qu’on veut, non ? Il y a bien un bosquet où je peux pisser.

- Un bosquet ? Nous sommes dans un parking souterrain, monsieur.

- C’est con. Je vais devoir me branler pour passer l’envie.

- Monsieur, nous pourrions très bien vous avoir simplement arrêté pour avoir brisé le confinement, n’aggravez pas votre cas par un attentat à la pudeur.

- Ne me dîtes pas que vous ne seriez pas un peu amusé à l’idée de voir un vieux baba cool se toucher dans un parking souterrain avec le Président du Sénat à ses côtés, tenta Machin.

- Amusé, je ne sais pas. La situation vous échappe autant qu’à nous, il me semble, répliqua le gendarme dans un accès de sincérité.

- Je conçois que tout cela vous perturbe. Excusez-moi. »

Depuis ces banquettes arrières, à l’aveugle dans le fourgon, on entendit frapper deux coups à la porte du chauffeur.

« Nous partons, messieurs. »

Au bout d’à peine cinq minutes de route, le véhicule pénétra dans ce qui semblait être un autre parking souterrain. On emmena les deux hommes à travers plusieurs couloirs sombres, avant de déboucher dans un dernier plus clair quoique toujours sans fenêtres, un étage plus haut.On les y installa sur une des banquettes disposées le long des deux murs.

« Ca ressemble à ça, les sous-sols de la DGSI ? demanda Tête-de-cul à l’un des gendarmes.

- Si votre ami veut aller aux toilettes, c’est par là, lui dit-il en guise de réponse.

- Hors de question qu’il aille aux toilettes sans moi. Je l’accompagne, imposa le Président.

- Très bien, messieurs, allons-y. »

Au bout du couloir, ils entrèrent tous deux aux commodités où l’on pouvait trouvait quatre lavabos, trois urinoirs et deux toilettes japonaises. Atmosphère neutre, sobre, propre : ils y passeraient un bon moment :

« Je tente la grosse, dit Machin.

- Allez, bonne idée, appuya Tête-de-cul.

- Faites vite, messieurs, je crois qu’on vous attend. »

Quelques secondes plus tard, ils entendirent beugler à l’entrée :

« Comment ça, aux toilettes ?! Ca fait des semaines qu’on le cherche, ça fait une heure qu’on s’organise et vous me dites qu’il chie ! Vous vous foutez de ma gueule. »

A l’intérieur, Machin ne put étouffer un fou rire. Il se reprit rapidement et dit à Tête-de-cul :

« Je ne crois pas qu’on soit à la DGSI. Je ne sais plus trop, mais il me semble que c’est plutôt la police qui s’occupe du renseignement intérieur.

- Concentre-toi », murmura le Président.

La porte s’ouvrit brusquement, suivit par une voix grave et empressée :

« Oui, Monsieur le Patron, je vous le passe tout de suite, Monsieur le Patron. »

Dans la foulée, la même voix tonna :

« Vous êtes dans quel chiotte, bordel de dieu ?

- Je suppose que c’est moi que vous cherchez, s’amusa Machin.

- N’aggravez pas votre cas. On ne peut pas traiter la France de cette façon, bande de petites merdes », tonna la voix en passant le téléphone sous la porte des toilettes où se trouvait Tête-de-cul.

« Je crains que si, ironisa le Président en saisissant le combiné. Bonjour, César, comment va ?

- Ah ! Tête-de-cul, c'est comme ça qu'on vous appelle maintenant ? J’ai envie de dire que la seule bonne nouvelle dans cette histoire, c’est votre nouveau surnom, chuinta le Patron de la République.

- Si vous me laissez deux minutes, je serai beaucoup plus disposé à vous parler, vous savez. J’ai les mains sales en ce moment, c’est pas très « gestes barrières », tout ça.

- Vous avez toujours été plutôt rigolo, mais plutôt du genre rigolo qui ne me brise pas les burnes, continua sur le même ton doucereux le Patron. Là, j’avoue que je ne comprends pas. Comment vous avez fait pour vous échapper. Le mieux aurait été de disparaître pour toujours, non ?

- Oh ! non, je ne crois pas. J’ai toujours eu le sens du devoir même si je l’ai peut-être perdu depuis quelques jours. En revanche, j’ai toujours le sens des responsabilités.

- Qu’est-ce que c’est encore que ces conneries ?

- Vous devriez vous détendre, vous savez.

- Près de 30000 morts, une économie en récession, des règles nouvelles pour remettre tout ce petit monde au travail, vous qui disparaissez, une opposition de beatniks qui parvient enfin à unir la gauche et vous me demandez de me détendre ? Vous avez fumé quoi ?

- Je n’ai rien fumé. On a bu pas mal d’infusions, mangé quelques gâteaux.

- Et vous osez me parler de responsabilité.

- Franchement, je vous ai manqué ? En vrai ? Il y a eu un souci dans l’organisation des séances ? Vous n’avez pas pu faire voter vos lois ? Vos amis n’ont pas reçu leur milliards comme ils le demandaient ? » mitrailla le Président, avant d’ajouter dans la foulée : « Excusez-moi, je vous mets en haut-parleur trente secondes.

- …

- César ?

- …

- Il ne faut pas prendre les choses au tragique comme ça. Ca pourrait être pire. Vous pourriez être papa.

- Hein ? glapit le Patron de la République.

- Ben oui », cria Tête-de-cul pour couvrir le bruit de chasse d’eau. « Quand vous vous rendrez compte de ce qu’on laisse faire, vous serez bien content de vous dire que vous n’avez pas imposé ça à votre gosse. Sinon, c’est un bon petit seum à traverser, je vous avoue. Parce que, quand même, vous avez le pouvoir politique, vous pourriez prendre des décisions, mais vous ne le faites pas.

- Je crois que je vais raccrocher, vous êtes devenu complètement con.

- Un peu cucul peut-être, mais pas plus con qu’hier et bien moins que demain.

- On verra bien le récit que vous allez faire des derniers jours. En attendant, on regarde attentivement comment on peut vous faire plonger, ici, et je peux vous dire que vous et votre nouveau pote, vous allez morfler comme jamais.

- Je crois qu’il n’a jamais rencontré Miranda, glissa Tête-de-cul à Machin tandis qu’il se lavait les mains.

- Qu’est-ce que vous avez dit ? hurla le Président.

- Non, rien, laissez tomber. Private joke. Bon, César, je vous laisse, je crois qu’il y a un général qui s’impatiente. »

Tête-de-cul raccrocha et, sortant de la pièce, lança au gradé qui patientait là :

« Je laisse le téléphone sur le lavabo, vous m’excuserez : je n’ai pas de désinfectant pour vous le rendre propre. »

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