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  • Photo du rédacteurPierre Marescaux

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« Uniquement parce que je te trouve joli, je ne vais pas tout de suite procéder à ton anéantissement.

- Hé bien, César, voilà une déclaration bien téméraire.

- Ouais. Tu sais bien que tu es mignon. Fais pas l’innocent. »

L’intérêt d’une conversation de vive voix, c’est qu’on peut se permettre la franchise sans avoir peur d’être enregistré. C’est dans cet esprit que le Patron de la République recevait enfin Eusèbe Daquin.

A l’arrivée de son opposant, le Patron de la République congédia ses secrétaires, ses gardes du corps, pour le recevoir comme il l’avait prévu dans un recoin aménagé du jardin où il aimait passer ses soirées en tête à tête. Une balancelle, un guéridon, deux loungers « Luxembourg » et leur coussin moelleux au bord d’une petite pièce d’eau, au creux d’une nature touffue quoiqu’ordonnée : on était bien, là, la rumeur de la capitale n’entamant pas la quiétude de ce cocon végétal.

« Nous ne sommes pas totalement à la masse, Eusèbe. Nous avons fini par faire le chemin qui vous relie. Hier soir, le décès soudain de Castanier nous a un peu secoué mais il confirme une chose : vous êtes un sérieux virus, vous et vos amies. »

Eusèbe Daquin regarda le Patron de la République avec circonspection. Que voulait-il dire ? Tout le monde avait été surpris, la veille, par l’annonce du décès de Castanier. Le Ministre de l’Intérieur, peu après l’émission sur Infos24, avait succombé à une rupture d’anévrisme. Nina Azizet, infirmière de son état, inconnue voilà encore une semaine, devenait subitement une célébrité au pouvoir mystérieux.

« Varan d’abord, Castanier maintenant… Ironique, cet AVC, pour un type qui utilisait aussi peu son cerveau », avait noté le Patron de la République en apprenant la nouvelle. Il avait convoqué Eusèbe Daquin dans la foulée.

« Bon, bien entendu, maintenant, on est au courant pour le séjour de Tête-de-cul à Icy. Curieuse coïncidence tout de même qu’il se retrouve chez Gloria Azizet, non ? Et sa sœur qui devient dans le même temps la mante religieuse de la République… ça fait un peu trop pour être du pur hasard, Eusèbe, vous en conviendrez. Les Verts qui se rapprochent de vous, les tractations, l’arrivée dans les instances de réflexion de votre nouvelle coalition de cette Gloria Azizet et de sa petite amie, vos débats publics avec elle : on voit bien que vous avez prévu le coup de longue date. On finira par réussir à vous briser. Comme on va briser cette petite ordure de Guillaume de Saint-Pourçain.

- Ca vous défrise vraiment qu’on n'ait rien prévu en amont, hein. Dans le fond, nous avons juste réussi à mettre en accord nos dénominateurs communs. Nous n’étions pas du tout dans une démarche d’alliance, mais ça se fait, c’est tout.

- Vous voulez me faire croire que tout ça, c’est un coup de chance ? Quand vous soutenez l’appel à la grève générale venu de nul part lancé par Nina Azizet, qui n’a aucun mandat politique, aucun engagement connu, qui est juste la sœur d’une élue municipale Verte, vous allez me dire que ce n’est pas concerté.

- Non, on ne savait pas du tout qu’elle allait tenir ce discours.

- Eusèbe, je ne supporte pas qu’on me mente. »

Le Patron de la République avait baissé la voix. Il écouta les bruits du jardin, entendit au loin la sirène d’une voiture de police, comme étouffée, comme dans un autre espace.

« Eusèbe, tu es vraiment beau. Si tu veux, tu peux rester dans ce jardin pendant qu’on vous extermine. Je t’offre asile. Nous sommes le 8 mai. La République a déjà massacré des opposants le jour de l’Armistice. »

Eusèbe éclata de rire.

« C’est une sacrée menace, ça, mon petit César. Une sacrée menace. Mais vous voulez massacrer qui et pour quoi ?

- Tu as raison Eusèbe. Je vais me contenter de buter ta mère. Un médecin complaisant dira que c’était bien le virus. Et puis on peut au hasard éliminer Miranda. Je sais pas, on va cibler gentiment, mais je te le répète : je t’offre l’immunité, si tu le désires.

- Tu es plus naïf que je ne croyais, César.

- Pourquoi ? Tu parles du dictaphone que tu as dans ta poche et qui enregistre la conversation ? Il va de soi que je l’ai remarqué et qu’on va te l’enlever. J’avais pris les paris avec le Premier Ministre : lui disait que vous étiez trop benêt pour appliquer ce genre de méthode de voyou. Moi, je prétends que vous êtes exactement comme nous. Toi et moi, Eusèbe, nous sommes frères. Nous sommes amants.

- Je n’ai pas de dictaphone dans ma poche, César. Tu le sais parfaitement.

- Alors nous n’avons plus rien à nous dire. Barrez-vous avant que je vous latte.

- Bonne fin de journée, César.

- Vous savez, Eusèbe, que nous ne nous laisserons pas faire. Ca commencera par les familles de vos collaborateurs. Des accidents. Des contaminations. Ca se rapprochera de vous.

- Très bien, César. Vous me permettez de ne pas vous prendre au sérieux, d’accord ? », conclut Eusèbe Daquin en s’éloignant.

Le Patron de la République regarda le militant écologiste s’éloigner. "Décidément, il roule du cul", pensa-t-il, songeur. Une fois dehors, Eusèbe Daquin monta dans sa voiture et prit la route d’Icy, où Gloria Azizet l’attendait. Il ne savait pas s'il était ou non sous surveillance. Il devrait attendre d’être là-bas pour extraire le dictaphone qu’il s’était planqué dans les fesses, à fin de discrétion.

Ce petit subterfuge lui avait permis de garder une trace de cette conversation, avec un son correct quoiqu'un peu étouffé. Oui, c’était une méthode de voyou, mais menace pour menace, ils avaient désormais toutes les cartes en main pour mener à bien, et sans verser de sang, leur révolution.

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