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  • Photo du rédacteurPierre Marescaux

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« Ecoute, Petit Lapin, tu crois pas qu’il est temps d’essuyer la merde que t’as dans les oreilles ? »

Guillaume aimait bien que Miranda lui parle comme ça. Elle était directe, c’est sûr, mais bienveillante à son égard. Il avait besoin de ce mélange de franchise et de tendresse. Les deux élus, de deux bords opposés, s’étaient rapprochés tout au long du dernier mandat municipal – si bien qu’en sortant du Sénat, c’est elle qu’il avait voulu voir, en cette veille d’élection. Le très jeune adjoint au maire n’avait aucune méfiance à son égard. Bon, Miranda n’était pas tête de liste : c’était l’autre, Gloria Azizet, qui menait la campagne des Verts d’Icy.

Elles avaient obtenu, il y a huit ans maintenant, un mandat de l’Office National des Forêts pour construire une ferme écologique, où elles vivaient ensemble. Le projet avait été appuyé par la majorité municipale à laquelle Guillaume appartenait, sans en être encore élu - il venait à peine de prendre un appartement à côté de la gare. Elles étaient marrantes, toute les deux, avec leur ranch, leur permaculture, leurs histoires de circuit court et de respect du vivant. C'était bien et ça ne mangeait pas de pain, ça permettait aux gamins de la commune de voir à quoi ressemblaient un chou fleur et une courge butternut dans leur milieu naturel.

Les parents de Gloria Azizet avaient débarqué du Gabon en France en 1969, deux enfants de deux familles en fuite, l’une à Paris, l’autre à Icy. Ils s’étaient rencontrés huit ans plus tard, dans l’hôpital de la ville : lui venait d’y être embauché, jeune administrateur brillant, elle étudiant à l’école d’infirmière qui venait d’ouvrir. Ils avaient eu deux filles au tournant des années 80, Gloria et Nina. La vague du disco et la fierté féministe afro-américaine étaient passés par là, et avaient aussi eu raison du père de Nina. Il était rentré au pays, oubliant au passage de prévenir les trois femmes de la maison et ses parents, s’asseyant sur sa dignité contre un joli poste dans un ministère.

Pour Miranda, le parcours était différent. D’origine espagnole, elle était arrivée un peu par hasard, au gré d’un échange entre les lycées de sa ville d’origine et celui d’Icy. Elle se lia immédiatement avec Gloria et revint, quelques années plus tard, pour terminer ses études lors d’un stage à l’Office National des Forêts. Elle fut embauchée dans la foulée, puis construisit avec Gloria le projet de la ferme écologique. Elle finit par demander la nationalité française en 2012 et entra en même temps que son amie au Conseil Municipal deux ans plus tard.

La connexion s’était faite immédiatement avec Guillaume, le deuxième adjoint, jeune arriviste sans idées. C’était justement cette absence d’idées qui avait fait dire à Miranda qu’il y avait matière à manœuvrer. Elle avait eu raison. Elle lui avait dit : « qu’est-ce que tu risques à nous soutenir ? Nous sommes dans l’opposition et nous n’avons aucune chance de passer, jamais. Si tu donnes des gages d’écologie, il y aura bien quelques profs pour voter pour toi dès le premier tour. Et puis, Gloria est une fille du cru, une vraie. Si on voit que tu la respectes, tu vas gagner des voix sans perdre celles de ton électorat. » Elle avait raison, évidemment.

Une autre motivation de Guillaume était le spectaculaire physique de Miranda. Lui, le petit énarque poli, se voyait dans des ébats brutaux où ils emplissaient mutuellement l’intégralité de leurs orifices respectifs.

Il avait envisagé cette sexualité très distinctement, le jour où elle et Gloria avaient organisé un débat sur le consentement au lycée d’Icy. Les images mentales étaient très précises au moment où il avait pris la parole - il avait su ne rien laisser transparaitre : « oui, parfois, nos pulsions nous conduisent à des pensées dont la réalisation outrepasserait le cadre de nos prérogatives individuelles. Il ne faut pas que ces envies deviennent des actes, parce que derrière, il peut y avoir des vies brisées. Il faut savoir rester à l’écoute de l’autre, surtout dans les relations de couple, les relations homme-femme notamment, et l’effort d’éducation, de discussion, de pédagogie en la matière doivent permettre d’endiguer, d’éradiquer à terme toute violence non-consentie. » Cette position pour le moins modérée et sibylline avait reçu un faible retour du public lycéen, mais obtenu l’assentiment de sa majorité. Hélène d’Essevent, l’adjointe aux affaires familiales, avait tout de même glissé, en sortant de la réunion : « Le consentement homme-femme, je vois pas pourquoi elles en parlent, les deux gouines du crottin. On sait bien qu’à Icy, les Verts aiment le gazon… » La phrase avait fait le tour de la ville et Guillaume s’était arrangé pour débarquer l’élue proprement, lui l'héritier du trône municipal. Il l’avait fait avec habileté, sans se mettre sa famille politique à dos.

Guillaume repensait à cela en arrivant à Icy, ce samedi soir. Dans vingt-quatre heures, il serait élu maire mais la seule chose qu’il désirait vraiment, c’était s’entretenir avec les principales candidates de l’opposition. Quand sa voiture de fonction remonta l’allée qui menait à la ferme, il les vit toutes deux l’attendant dans le soleil couchant. L’une portait une robe longue avec un tablier, l’autre était en short et essuyait machinalement un saladier alors que la voiture approchait. Elles auraient pu porter des sarouals, des boubous ou des bikinis qu’il aurait fantasmé de la même façon.

Quand il descendit de voiture, on aurait dit que Gloria était dans sa tête :

« Imagine pas que je vais lécher la chatte de Miranda pendant qu’elle te suce, mon gars, tout ça parce que t’as un p’tit seum pré-électoral. Ce genre de pratique, je suis pas certaines qu’on y viendra toutes les deux, même si on te trouve bien mignon. Regarde-toi, regarde-nous : si tu enlevais ta cravate et que tu passais deux mois ici, on aurait la même tête. On est de la même famille. Mon père est dignitaire d’un régime totalitaire d’Afrique Noire. Celui de Miranda, il a démarré comme gérant d’une grosse exploitation de figues, et maintenant c’est un des principaux investisseurs du bio espagnol. On a la même bonne éducation dans de bons lycées privés, on a lu les mêmes bouquins, on a reçu en héritage le même mélange de charité chrétienne, d’égoïsme protestant et de blé à foison pour lequel on n’a pas sué la moindre goutte. On est pareils, mec, on est de la même famille. Assieds-toi, pleure tout ce que tu veux et raconte à tes grandes sœurs. Des pas-complètement-irrécupérables à ton âge et à ton niveau d’études, ça court pas les rues.

- Je devrais partir. L’élection demain, c’est rien du tout par rapport à ce qui nous attend après, et je vais avoir un bon paquet de choses à gérer. Le pays va être totalement fermé, vous vous en doutez, j’imagine ? »

Dans le crépuscule, le visage de Guillaume disparut subitement. Il perdit sa contenance humaine pour se transformer en mérou, avant que le corps tout entier ne s’effondre. Quand il revint à lui, il était assis sur une chaise et Miranda lui collait des baffes pour le réveiller.

« Il faut que je reste sereine, je sens bien que je prends du plaisir à ça », disait-elle à Gloria alors que Guillaume rouvrait les yeux. Elle sourit en le voyant : « Ecoute, Petit Lapin, tu crois pas qu’il est temps d’essuyer la merde que t’as dans les oreilles ? »

Il sourit faiblement et descendit d’un trait le shot de calva que Gloria lui tendait.

« Petit Lapin a du chagrin ? Allez, on a toute la nuit devant nous, raconte. »

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