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  • Photo du rédacteurPierre Marescaux

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Dernière mise à jour : 23 avr. 2020

« Impossible de lui faire changer de discours, je crois que cette tête de cul est définitivement trop débile.

- Hé bien moi, sœurette, je prétends le contraire. Je suis certaine qu’avec un remix bien velu, on va lui mettre les neurones d’aplomb.

- Qu’est-ce que ça va changer ? demanda Nina. »

Putain, sœurette, je croyais quand même qu’on avait avancé. C’est le 1er avril, d’habitude on se cause à heure fixe, tous les matins, pour que t’entende le petit : si tu me rappelles une heure à peine après notre dernier coup de fil, c’est pas pour causer école à la maison, macramé ou poissonnerie.

J’essayai à nouveau :

« Ecoute, me fais pas croire que tu m’appelles pour rien. Tu m’appelles pour me dire que tu es à point, toi aussi. Tu connais nos plans, à Miranda et moi, depuis longtemps, enfin, t’as une bonne idée de là où on veut aller. Ce que je pige pas, c’est que ton ras-le-bol arrive précisément aujourd’hui. Ça, c’est un putain de hasard. Tu me rappelles pour me dire que t’en peux plus, que t’as entendu une vieille interview de Tête-de-cul, post-municipales, que ça a été la goutte d’eau, tu sais pas pourquoi. Je te console, je t’explique qu’on peut plus te faire du mal comme ça, qu’il faut qu’on arrête tout, qu’on tente un truc. Tu me dis d’accord. Je te dis qu’on va lui faire une remise à neuf, à lui, de son cerveau, tu dis tout de suite que c’est impossible et que ça sert à rien. Mais il faut bien commencer par quelque chose, Nina. Et on va s’y mettre dès ce soir. Avec Tête-de-cul dans nos filets. T’as bien compris : Saint-Pourçain nous livre ta Tête-de-cul, il nous l’amène.

- Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?

- On va lui faire passer un bon petit séjour à la ferme, il en ressortira tout neuf. »

S’ensuivit un long silence : j’avais mis un paramètre de côté, et elle allait me l’envoyer en pleine face :

« Tu comptes faire comment pour le petit ? Il va voir le Président du Sénat débarquer chez vous, sans doute avec un bâillon, les mains liées, tu vas lui dire quoi, au petit ? Sérieux, tu peux pas me faire ça, pas à moi, pas maintenant.

- Ecoute, Nina, j’y ai bien pensé, le Petit n’en saura trop rien. Quand Tête-de-cul (merci pour le surnom, au fait, ça va servir) sera un peu calmé, on verra comment on les présente l’un à l’autre. En attendant, on dira au petit qu’il ne s’étonne pas s’il voit quelqu’un dans la grange, qu’un ami s’y repose mais ne veut pas être dérangé. D’ailleurs, Tête-de-cul va être vraiment bien, on a aménagé la pièce du fond, il va être comme un coq en pâte. »

Nouveau silence. Au-dedans, je me suis sentie confiante : si elle n’avait pas tiqué en premier lieu sur le fait que Petit Lapin, notre adversaire supposé, nous livrait son boss et ami politique, mais qu’elle avait pensé direct à son môme, c’était qu’elle nous prenait au sérieux. Elle finit par dire :

« Et maintenant, je suis complice.

- Oui.

- Donc soit je te dénonce, soit je reprends le petit.

- Tu ne peux pas reprendre le petit. Tu peux l’envoyer à maman.

- Maman travaille à l’hosto, on va pas la faire quitter les urgences maintenant. Ce serait louche de toute façon, il faudrait lui donner une raison. Elle est pas conne. On ne va pas l’embarquer là-dedans. »

Nouveau silence, mais c’est moi qui ait du mal à parler cette fois-ci. J’ai envie de chialer.

« Merci, Nina.

- J’ai quand même sacrément envie de te fracasser, toi aussi. Tu te sers de moi, c’est dégueulasse. » Il y avait un peu de rage dans la voix de ma sœur, mais ça se calmait.

« Je ne me sers pas de toi, je n’ai pas bien coordonné les choses. Je voulais tellement que ça se fasse, je pensais qu'il fallait agir vite. Je le pense toujours.

- Et comment tu comptes rester discrète ? Comment crois-tu qu’ils ne remonteront pas jusqu’à vous ?

- Tête-de-cul fait subir une espèce d’entraînement bizarre à base de bouffe traditionnelle française à notre Petit Lapin. Comme ils n’ont pas trop le droit de sortir de la capitale, que leurs mouvements sont surveillés, ils s’échappent régulièrement avec une voiture banalisée hors de Paris, pour aller manger dans des adresses privées, connues du seul Tête-de-cul. A priori, personne ne sait trop rien sur ses escapades, et on se doute encore moins qu’il est accompagné par Petit Lapin. Quand le personnel du Sénat se demande où il est passé, ils ont plutôt tendance à dire qu’il est parti avec d’autres Sénateurs, de vieux copains à lui avec qui il se tape sur le bide depuis plus de 30 ans.

- Ca fait beaucoup de suppositions. Tu ne vas pas me faire croire que personne ne les suit.

- Petit Lapin dit que non.

- Petit Lapin est un menteur.

- Je ne crois pas. Il raconte des choses auxquelles il ne croit pas vraiment, mais il ne ment pas.

- Petit Lapin regarde peut-être mal dans le rétro ? Comment peut-il être certain qu’il n’est ni suivi, ni sur écoute ?

- Pas suivi, je ne peux que le croire. Et il pourrait être sur écoute que ça ne changerait rien. On ne s’appelle jamais. Bon, tu poses beaucoup de questions. De toute façon, Tête-de-cul va arriver ici en homme libre et en repartir en homme libre. Entre les deux, je ne dis pas… il y aura peut-être un peu de coercition. Ca dépend de lui.

- Tu te fous de moi, Gloria.

- Pas du tout. Dis-moi juste, à la fin du repas, qu’est-ce que je peux utiliser pour l’endormir à coup sûr ? Genre profondément.

- Tu le sais très bien. Mais il va falloir aller fouiller dans l’armoire à pharmacie de maman. Mets deux fois la dose habituelle, et trente minutes après il fera un gros dodo. Ce sera sans risque, il aura juste comme un très gros étourdissement à un moment et demain matin, il sera nauséeux. S’il picole gentiment, sans se mettre mal, ça va aider.

- Tu es avec nous, alors ?

- Je n’ai pas le choix, de toute façon», trancha ma sœur.

Je profitai d’un nouveau blanc pour fouiller dans les médicaments de ma mère. Je trouvai la boîte de somnifères, prélevai les cachets nécessaires. Ils étaient un peu périmés, mais rien de trop daté non plus. Le genre de péremption que les malades en Afrique de l’Ouest acceptent depuis longtemps.

« Qu’est-ce que tu trifouilles ? me demanda Nina.

- Je suis déjà chez maman.

- Et le portable de Tête-de-cul, ils vont vous tracer grâce à ça.

- Non. Il le laisse au Sénat. Petit Lapin et lui partent vers 22h, Tête-de-cul dit qu’il ne faut pas l’emmerder pendant 2-3h, il l’éteint.

- Il l’éteint ?!

- Il l’éteint.

- Mais Petit Lapin, ils vont forcément très vite enquêter sur ses mouvements.

- Petit Lapin dort le mercredi, le vendredi et le lundi à Icy, depuis le début du confinement. Rien de plus simple que d’aller foutre le téléphone chez lui pendant qu’il mange à la ferme avec Tête-de-cul. Il va croiser Miranda sur la route en arrivant, lui en voiture, elle à vélo : elle part déposer des légumes chez maman. Ils vont s’arrêter pour se dire bonjour. Elle va aller au centre-ville, elle va poser le téléphone chez lui et elle va rentrer à la ferme. Avec la forme qu’elle tient en ce moment, ça va prendre 10 minutes grand maximum.

- Et vous allez faire bouffer végétarien tout le monde ?

- Oui. Pleurotes, giroles, omelettes, patates farcies au four, des trucs tellement gourmands qu’il ne se rendra même pas compte qu’il n’a pas avalé d’animal mort. J’ai ajouté force crème, on ne va pas faire les jusqu’au-boutistes dès ce soir. Du pif à foison, ils vont se mettre bien. Mon fameux calva là-dessus et au bon moment, un petit gâteau pour faire un gros dodo. Tout va bien se passer.

- Si Miranda se fait arrêter ?

- Elle va simplement déposer des légumes à maman. C’est à deux pas de l’appartement de Petit Lapin. Il est tard, monsieur le gendarme, mais avec le petit, le jardin, la forêt à s’occuper, elle n’a pas vu le temps passer, et puis elle doit bien ça à maman, qui sort tout juste de garde. Hop ! Le gendarme la laisse aller, «allez-y mademoiselle», il mate son cul, se dit « c’est quand même bien dommage qu’elle préfère se gouiner plutôt que se prendre un bon chibron », Miranda arrive devant chez Petit Lapin, elle glisse le téléphone dans sa boite aux lettres – oui, il sera en mode silencieux -, elle fait trente mètres de plus, elle dépose les légumes à maman, elle sort de la ville, elle fait les deux dernières bornes en sprint et la voilà de retour à la ferme. Le tour est joué.»

Je fermai l’appartement de maman, où j’avais passé dix minutes à peine. Le temps de déposer les courses. Comme elle me l’avait demandé. Mon passage n’avait rien de suspect : je lui fais le plein une fois par semaine. Et Miranda vient souvent à un autre moment pour lui amener les produits de la ferme.

Je tournai les clés dans la serrure de l’appartement et pris le chemin du parking.

« Je te laisse, sœurette, je sors de chez maman.

- Tu veux dire que tu es dans un espace public ? Sur la place du marché ?

- Oui.

- Tu te fous de ma gueule ? Il y a du monde autour de toi ? On a pu nous entendre ? »

Quelles questions à la noix ! Si ça t’avait emmerdée, tu m’aurais demandé plus tôt et tu gueulerais pas comme ça. Je ne peux que faire la conne :

- Non, pas trop. J’ai bien déposé comme d’habitude les courses chez maman, tout va bien. On se rappelle plus tard, que je te passe le petit.

- T’es complètement cinglée.

- C’est probable, oui. Mais pas pire que les autres. C’est la période qui veut ça. »




en photo : couverture du roman de Nick Carter, "The Nichovev Plot", par S. Holland

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